mercredi 29 mai 2013

J35, 28 mai 2013, 19H00 GMT.


Vent: ESE force 1 ; Cap: 300° ;  Vit.: 1,1  noeud ; Allure: GRAND LARGUE sous GV seule.

TERRE!!!

Ce matin, après avoir dormi comme un loir, je sors dans le cockpit avec ma tasse de chocolat et là sur bâbord, je vois la terre!

Je distingue l’île de Fatu Hiva à 35 milles à l’ouest.

C’est encore une ombre derrière un nuage mais je sais qu’elle est là.

J’ai le cœur qui bat la chamade car c’est comme si elle se matérialisait devant mes yeux.

Avant, elle n’était qu’un contour abstrait sur une carte marine et puis elle apparaît à l‘horizon.

Maintenant je sais que je suis bientôt arrivé.

La mer c’est comme le désert.

Tout comme il suffit de passer deux trois dunes pour avoir l’impression d’être au milieu du désert, il suffit de parcourir 50 milles pour avoir l’impression d’être en plein milieu de l’océan. 

Aujourd’hui, j’ai établi un nouveau record de lenteur, 45 milles nautiques en 24 heures!
Encore 50 milles jusqu’à destination; à ce rythme-là, je devrais arriver demain en milieu de journée.

Après tout, pourquoi pas?

La mer est plate, le bateau est stable (je peux poser un verre sur la table sans avoir peur qu’il se renverse).

C’est une drôle de sensation que de se laisser dériver.

Cette lenteur a quelque chose d’enivrant, comme une sensualité lascive…

C’est tellement bon de se laisser aller…

Avant, jamais je ne me serais laisser dériver comme ça, je serais devenu fou! J’aurais mis le moteur sans hésitation!

C’est quand même drôle que le vent s’arrête comme ça, juste avant d’arriver.
C’est un peu comme si la mer me retenait encore deux jours de plus, comme si elle ne voulait pas encore me laisser partir après ces 5 semaines passées ensemble

Ou peut-être que c’est moi qui ne veux pas encore la quitter; après tout, je pourrais mettre le moteur…mais j’aurais l’impression de casser le charme. 

J’ai peut-être besoin de ces deux jours en plus pour préparer mon atterrissage en douceur.

La vue de la terre après une longue nav en solitaire est toujours accompagnée d’une sensation mixte, une forme de joie extatique accompagnée d’une certaine appréhension.

Tout doucement…


Tout en douceur…




mardi 28 mai 2013

nous sommes très fiers de toi et t'embrassons très fort. Mamido

lundi 27 mai 2013

J34, 27 mai 2013, 19H00 GMT.


Vent: ESE  force 1 ; Cap: 290° ;  Vit.: 1,6 nœuds ; Allure: VENT ARRIÈRE.

Eh bien me voilà bel et bien encalminé à peine à 100 milles de l’anse de Tahauku dans l'île d'Hiva Oa où je devrais jeter l’ancre.

Hier soir, j’ai essuyé 7 grains d’affilés et depuis c’est le calme plat. Il n’y a même pas assez de vent pour le spi!

La météo n’annonce aucun changement pour les trois prochains jours.

Et je ne peux même pas mettre le moteur maintenant, au risque d’arriver trop tôt, en pleine nuit…

Vous me direz, je peux avancer au moteur à 3 nœuds mais il n’est pas bon du tout de faire tourner le moteur à bas régime.

Il faudrait que j’attende encore 5-6 heures pour le démarrer, afin d‘arriver dans la matinée…


Vent: ESE force 2 ; Cap: 290° ; Vit.: 2,6 nœuds ; Allure: VENT ARRIERE sous GV seule.

Finalement, j'ai enlevé le génois parce qu'il n'arrêtait pas de claquer et le vent est trop changeant pour le tangonner. 2,6 nœuds quand il n'y a pas de mer ça le fait bien finalement. J’ai décidé d'y aller tout tranquillos; ça prendra le temps que ça prendra...

The French or the English way?

Il y a deux manières d’arriver à bon port après une longue navigation.
Il y a la manière française et la manière anglaise.

Les français, après une longue navigation, débarquent généralement avec une énorme barbe et les cheveux hirsutes, des habits troués et sautent à terre pieds nus. Les bateaux ressemblent généralement à leur capitaine et il y en a qui sont de véritables foutoirs! Ils donnent à chaque fois l’impression d’avoir traversé l’enfer. Même après une petite semaine de nav, on croirait qu’ils reviennent du Cap Horn! 

Les anglais quant à eux, mettent un point d’honneur à arriver à bon port fraîchement rasés et bien coiffés, un bateau nickel, habillés d’une belle chemise avec short et mocassins assortis. Même après avoir traversé des océans, tout proprets sur eux, ils donnent l’impression de revenir d’une petite excursion journalière.

Ça c’est la classe!

Alors j’ai décidé d’en faire de même. Après tout, j’ai tout le temps du monde.
Aujourd’hui, mission nettoyage; je veux que Yapa et son capitaine arrive à bon port comme s’ils n’en étaient jamais partis!

Cette traversée du Pacifique? Pfff! ‘peace of cake!’


Ou comme disent si bien les anglais, c’était ‘Peanuts!’




J33, 26 mai 2013, 19H00 GMT.

  
Vent: E force 3 ; Cap: 285° ;  Vit.: 3,5 nds ;  Allure: GRAND LARGUE  GV 3 riz, génois, trinquette.

Ça me fait marrer, à chaque fois qu’on utilise des termes tels que « normalement » en mer, on se fait avoir! L’alizé « devrait » être bien établi jusqu’aux Marquises… eh bien non! Le vent a encore baissé ce qui fait que je me traîne maintenant à 3,7 nœuds. Ce qui me fait arriver 24 heures plus tard dans la matinée du 28 Mai. Après tout si la mer veut me garder 1 jour de plus, je ne suis pas contre...

Je crois qu’il y a un dicton qui résume bien la situation:

« Quand l’homme planifie, Dieu se marre! »




dimanche 26 mai 2013

J32, 25 mai 2013, 23H30 GMT. Plus qu'à 300 milles des Marquises.


Vent: E force 4 ; Cap: 285° ;  Vit.: 5,5-6 nds ;  Allure: GRAND LARGUE  GV 3 ris, génois, trinquette.

Aujourd’hui, changement d'amure! Je remets le cap sur Hiva Oa qui n'est plus qu'à 300 milles nautiques un peu plus au Nord. Tactiquement, il faut que j’assure une vitesse minimum afin d’arriver de jour. Le vent a encore baissé et là j’avance à 4,5 nœuds ce qui me ferait arriver après demain, en milieu de soirée. À 5,5 nœuds, je devrais arriver en milieu d'après-midi et À 6 nœuds en milieu de matinée dans une cinquantaine d'heure. Il me faut plus de surface de voile afin d’augmenter ma vitesse. Le problème c’est qu’à cette allure, la GV dévente le génois, donc je hisse la GV en laissant 3 ris. J’ai gagné un peu plus de 1 nœud de vitesse! Et afin de combler les 0,4 nœuds manquant, je hisse la trinquette; 6 nœuds tout rond, youhouuuu!

Ainsi, j’assure mon arrivée de jour, 50 heures à l'avance!

Normalement, le vent ne devrait plus baisser, au contraire, il devrait forcir un peu en début de soirée; heureusement, car il est plus aisé de diminuer la vitesse que de l’augmenter!

Ça va me faire bizarre de voir la terre et des gens après ces 34 jours de solitude totale. Imaginez ! Depuis plus de quatre semaines, je n’ai pas croisé un seul bateau, même de loin! Ma seule compagnie auront été les dauphins qui sont venus me souhaiter un bon anniversaire. Sinon, rien; les rares oiseaux qu’il y a dans le ciel, ne semblent pas s’intéresser au bateau…

Ça ne va pas être facile de quitter mon petit cocon…

D’un autre côté, pour un retour à la civilisation, je crois que mon atterrissage aux Marquises se fera sans grand choc. Rien que le nom de l’île « Hiva-Oa » laisse présager une douceur de vivre… Peut-être que je comprendrai finalement ce qui aura amené Gauguin et Jacques Brel à vouloir finir leurs jours là-bas…

À vrai dire, on ne pourrait imaginer meilleure destination après 5 semaines de mer!

Sinon, depuis deux jours, j’assiste à deux phénomènes simultanés et diamétralement opposés. À l’aube, j’observe d’un côté, plein Ouest, le coucher du soleil et de l’autre plein Est, le lever de la pleine lune.
Et aux aurores, j’assiste au même phénomène mais inversé.
Alors que le soleil se lève à l’Est, la pleine lune se couche à l’Ouest.
C’est la première fois de ma vie que j’observe ce phénomène de manière simultanée et diamétralement opposée; il me semble que c’est quelque chose de très rare… 



vendredi 24 mai 2013

J31, 24 mai 2013, 20H30 GMT.


Vent: E force 5-6 ;  Cap: 260° ;  Vit.: 6,5 nds ; Allure: VENT ARRIERE sous génois seul tangonné.

On a repris de la vitesse. Depuis hier soir, le vent s'est levé et la mer aussi.

Par une nuit étoilée.

Quel bonheur que de pouvoir mettre le son à fond et d’écouter le Stabat Mater de Pergolesi par une nuit étoilée, en plein milieu de l’océan. Il y a de ces musiques qui ne s’écoutent pas à demi volume, il y a de ces voix qui ont besoin de résonance afin de pouvoir toucher les étoiles.

La navigation de nuit est ce que je préfère. Les gens pensent qu’on n’y voit rien alors qu’on y voit presque comme de jour, par une nuit de pleine lune comme ce soir. Même par une nuit sans lune, les étoiles suffisent à éclairer la mer. Ou alors, il faut vraiment un ciel avec une couverture nuageuse assez épaisse pour bloquer toute lumière. Et même là, c’est magique. Quand on apprend à faire de la voile, il y a un exercice qui consiste à barrer les yeux fermés afin de se servir de ses autres sens et de sentir le vent, le bateau, la mer…

Et même par une nuit noire, il y a toujours de la lumière et elle vient d’un endroit inattendu, de l’eau. Il y a en effet dans la mer ce qu’on appelle du plancton phosphorescent et il s’illumine lorsqu’il est mis en mouvement. Tout le long de la carène et là où l’étrave fend les vagues, des gerbes de lumière jaillissent de part et d’autre. Et à l’arrière du bateau, s’étire un sillage lumineux « comme une longue chevelure de rêves et d’étoiles »(B.Moitessier). La mer est tellement belle.

Et lorsque les dauphins viennent nous rendre visite la nuit, tout comme des étoiles filantes, ils laissent derrière eux une traînée de lumière alors qu’ils fendent l’eau à toute vitesse.

Il ne faut pas avoir peur de la nuit. Loin de toute pollution lumineuse de la ville on voit cette voûte stellaire comme elle apparut à nos premiers ancêtres. Le ciel étoilé nous est dévoilé dans toute sa splendeur, dans toute sa majesté, constellé de diamants de toutes les couleurs. Qui a dit que le ciel de nuit est noir et blanc?!

La nuit comme de jour, je dors parce que j’ai confiance en mon bateau et j’espère que la mer sera clémente avec nous. Comme c’est bon de fermer les yeux, de ne pas avoir peur, et de se laisser aller à la merci des éléments…


Il y a des endroits en plein milieu de l’océan où il n’y a pas un souffle de vent, où la mer est plate comme une nappe d’huile et lisse comme un miroir. La nuit, la voûte céleste se reflète dans l’eau et là, en plein milieu de l’univers, sur mon petit bateau, je vole d’étoiles en étoiles…





 j'ai eu la chance de chopper une étoile filante!

J30, 23 mai 2013, 19H30 GMT.


Vent: E force 4-5 ; Cap: 270° ;  Vit.: 5,5-6 nds ; Allure: VENT ARRIERE sous génois seul tangonné.

Aujourd’hui, c’est magique. Depuis 2 jours le vent baisse sensiblement et tourne progressivement vers l’Est. La mer, elle aussi, est devenue toute douce avec une houle d’à peine 2 mètres. Je mets le cap plein Ouest, 270° pile poil, par vent arrière sous génois seul tangonné. L’allure est stable et tellement agréable après trois semaines de grand largue avec son roulis. C’est tellement bon, j’ai peine à y croire…quel bonheur, quel paix !

Je pourrais hisser la GV et naviguer en « papillon » (ciseaux); je gagnerais certainement plus d’un nœud de vitesse. Mais je n’ai pas envie d’aller plus vite. J’aimerais au contraire, que ça dure une éternité. Je suis à peine à quelques jours des Marquises et je regrette presque d’arriver aussi tôt. Qu’est-ce que je donnerais pour 2 petites semaines de plus…

C’est con, mais 1 mois c’est ce qu’il faut à tout homme naviguant en solitaire pour rentrer véritablement dans le rythme du large. Que ce soit Moitessier, "Jean du Sud", Dumas, Joshua … tous ces marins de légende le disent pourtant tous: « la magie commence après le premier mois… »

Je suis heureux de ne pas m’être arrêté aux Galápagos et d’avoir résisté à la tentation d’un bon repos après les deux premières semaines de près. Sinon je n’aurais jamais dépassé les trois semaines de navigation et je n’aurais peut-être pas connu cette paix intérieure tellement profonde que je ressens depuis quelques jours.

Enfin, paix intérieure qui a été momentanément interrompue hier par le bain de sang suite à mes ébats avec la dorade coryfène…

En parlant de cette dorade, quel délice!

Recette de la journée:
Je fais fondre du beurre dans une poêle avec un filet d’huile d’olive, je rajoute tout simplement de l’ail et du gingembre que je laisse tout juste roussir, puis je rajoute mes morceaux de doradeque je fais à peine revenir. Un petit peu de sauce soja et je laisse chaque bouchée fondre dans ma bouche…
Finalement, je suis bien content de ne pas l’avoir remise à l’eau!

À demain!



jeudi 23 mai 2013

J29, 22 mai 2013, 23H30 GMT.


Vent: SE force 4 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 5 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.


C’est affreux! J’ai pêché une dorade coryfène de 10 kgs!

J’ai bien essayé de lui enlever le hameçon afin de la remettre dans l’eau mais impossible de la maîtriser. Dix kgs de muscles qui se débattent pour leur survie, c’est impressionnant la force que ça peut générer.

Je me suis même reçu quelques baffes!

Dix kgs, ce n’est plus « un petit poisson », c’est un être vivant à part entière.
Dix kgs, c’est le poids que fait un bébé de deux ans!

Voyant ce poisson se débattre de tout son être dans le cockpit, j’ai décidé d’abréger ses souffrances en le poignardant dans la tête et en lui coupant la grosse veine située au niveau de ses branchies…

Je ne peux vous décrire la scène de meurtre qu’était mon cockpit après les derniers soubresauts.
Il y a avait du sang partout ; moi-même j’en étais recouvert comme si on m’en avait aspergé sur tout le corps.

En tout cas on peut dire que ça aura été un combat!

Heureusement, j’ai installé un jet d’eau dehors pour tout nettoyer!

Une prière pour ce beau poisson qui s’est bien battu et pour me donner moins mauvaise conscience.

Il y aura probablement 6 ou 7 kgs de viande et la meilleure de toute en plus de ça!
Au moins je sais ce que je mangerai pendant la semaine qui suit!

Je range ma ligne, je n’aurai plus besoin de pêcher jusqu’à mon arrivée aux Marquises.

Je devrais arriver d’ici 4-5 jours.



mardi 21 mai 2013

J28, 21 mai 2013, 18H00 GMT. Bilan de la quatrième semaine.



Vent : SE force 4-5 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 5-6 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

BILAN DE LA QUATRIEME SEMAINE:

- Performance: Depuis une semaine, je note un léger ralentissement, jour après jour. Au bout d'une semaine, j'ai perdu 1 nœud de vitesse! En me penchant, j'ai pu distinguer des anatifes. Il s'agit de crustacés montés sur un pédoncule assez long pour maintenir leurs  branchies en dehors de la zone empoisonnée par les meilleures peintures sous-marines... je n’ai pas envie de me mettre à l'eau, donc ils feront le voyage avec nous jusqu'aux Marquises. 

Casse: ça date de la troisième semaine. Par dépit, je n'avais pas fait de bilan. Je n'étais pas dans mon assiette et par manque d'attention, je me suis laissé déséquilibrer par une vague et j'ai fait tomber l'iridium! Quel n'a été mon désarroi en voyant l'écran cassé.  C’est tout mon monde qui s'écroulait. L’idée de ne plus pouvoir recevoir de nouvelles ou d'en donner m'a anéanti. Je m'étais habitué à recevoir tous les jours un message de Clarisse, parfois d'amis et d'écrire pour le blog, de rassurer ma famille. Clarisse aurait été morte d’inquiétude et je n’ai aucun autre moyen de la contacter! Déjà que ce n'était pas la grande forme, j'en ai pleuré de dépit. Mais bon, comme vous avez pu le constater le téléphone marche toujours, c'est juste l'écran...

Bilan énergétique: toujours positif.  Je ne jure plus que par le Régulateur d'allure! Dire que j'ai dépensé une fortune en pilotes automatiques!

Eau: les réservoirs sont toujours pleins! Ce désalinisateur est une bénédiction!

- Nourriture: j'ai fait mon dernier jus d'orange pressé hier. Vingt kilos d'oranges m'auront duré 5 semaines quand même! (Je les avais achetées 1 semaine  avant de partir). Plus de patates! Je n'en avais pris que 10 kilos, la prochaine fois j'en prendrais le double pour 1 mois. C'est bon les patates et puis on peut les décliner de tellement différentes manières.  Je n’ai plus de légumes frais depuis une semaine...mais il me reste des tas d'oignons, ail, tomates en boite, crème fraiche (enfin, un équivalent très approximatif mais qui fait l'affaire...) de quoi agrémenter les plats quotidiens. Ça c'est sans compter les pâtes, riz, lentilles et mes réserves de boites de conserves en tout genre. Bref, je pourrai encore tenir facilement 3 mois!

- Moral: après être passé par une phase d'euphorie, de fatigue, de déprime, d'acceptation, je me sens bien, tranquille, serein. Depuis une semaine,  j'ai remplacé le café par un bon chocolat au lait chaud.  La transition au réveil se fait avec plus de douceur et je fais du yoga tous les matins et soirs. Ça m'aide beaucoup pour rester "zen" dans cette petite boite constamment secouée dans tous les sens.
          
- Bilan toxicologique: aucun besoin de clopes ni d'alcool dans cet environnement. Je suis tellement conscient de mon corps que l'idée de lui faire du mal me révolte. Enfin, je dis ça maintenant, mais à peine le pied posé à terre, j'aurai certainement envie d'une bonne chope de bière et d'une clope...ou peut-être pas...

Plus qu'à 780 milles nautiques  des Marquises, c'est à dire moins d'une semaine!

A demain.



J27, 20 mai 2013, 20H30 GMT. J'attaque ma cinquième semaine en mer.



Vent: SE force 4-5 ; Cap: 250° ;  Vit.: 5-6 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

C’est étrange, depuis quelques jours, ma vitesse baisse sensiblement alors que le vent et la mer n’ont pas changé. Il n’y a pas de courant contraire dans cette région et pourtant j’ai perdu presque 1 nœud par heure, ce qui est énorme!

C’est donc que la carène doit être sale ; pourtant je l’ai parfaitement nettoyé avant le départ…

Le problème, c’est qu’il y a tellement de houle qu’il serait dangereux d’aller voir sous l’eau ce qui se passe. Et puis, je dois avouer que l’idée de me mettre à l’eau tout en sachant que le fond se trouve à 5000 mètres (5 kilomètres!!!) de profondeur me donne la frousse. Je sens bien que je ne suis pas du tout dans mon élément!
Tout bien réfléchi, je vais rester sur Yapa; on garde notre cap et tant pis si on met 2 jours de plus. Après tout, on est plus à ça près!

Ici la vie se passe bien; on peut dire que je suis maintenant complètement amariné. Ça m’en aura pris du temps!

En tout cas, il est intéressant d’observer les différentes étapes psychologiques pendant ce voyage et de noter à quel point elles sont semblables aux différentes phases que j’ai traversées lorsque j’ai effectué le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle il y a de ça une dizaine d’années (déjà!!!).

La première phase est euphorique, elle dure à peu près une semaine; l’excitation du départ, l’aventure, les retrouvailles avec la mer, les nuits étoilées, avec Yapa, seul à seul, dans cet espace infini entre ciel et mer…
Tout ça aide à oublier ou occulter l’inconfort et la dureté de la vie quotidienne à bord pendant les premiers jours.
Tout est nouveau, on prend ses marques, on est en alerte constante, et on ne dort pas beaucoup.

La deuxième semaine, c’est le coup de barre. Toute la fatigue accumulée la première semaine nous tombe dessus d’un coup.
Ce n’est plus l’euphorie des premiers jours où la galère nous fait sourire. C’est une prise de conscience; on réalise à quel point le chemin sera long et dur.
Mais on se dit courage, on est qu’au début, on n’a pas le droit de flancher maintenant!

La troisième semaine c’est le coup de blues accompagné d‘énervement et parfois d‘exaspération.
On se demande ce qu’on fout là!
L’inconfort, la dureté de la vie à bord, le roulis, toutes ces galères quotidiennes ne nous font plus du tout rigoler!
On est à peine à mi-chemin et le bout du tunnel semble loin, très loin…

La quatrième semaine, quelque chose de bizarre se passe, on arrête de se battre.
On ne s’énerve plus, on commence à adopter les mouvements de la mer de manière naturelle; on se plie à son rythme et on bouge avec elle.
On a trouvé un rythme de sommeil et pourtant, on est toujours un peu fatigué.
Je ne pourrais pas dire que je suis heureux, je ne pourrais pas dire que je suis malheureux non plus.
Je suis tranquille.
Je crois qu’on peut appeler cette étape, la phase d’acceptation ou de soumission. 

Demain, je commence ma cinquième semaine en mer;

Voyons voir ce qu’il adviendra…

À demain.


dimanche 19 mai 2013

J25, 17 mai 2013, 20H30 GMT.


Vent: SE force 4-5 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 6 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

Encore une fois de mémoire…

« Tout ce que tu crois être acquis peut t’être retiré du jour au lendemain,
Que ce soit la terre sur laquelle tu marches ou même les personnes que tu aimes, sans parler de l’argent que tu possèdes…
La seule et unique chose qui t’appartient réellement, dans la vie, c’est le temps qui t‘es octroyé!
Car tu es seul responsable de ce que tu en fais!»

Voilà encore une phrase de Sénèque qui nous déstabilise, nous qui nous plaignons constamment de ne pas avoir de temps!

Voilà bien 20 ans que j’ai lu Sénèque et pourtant, aujourd’hui je réalise que ces trois citations (J20, J24 et J25) m’ont accompagné pendant toute ma vie et ont influencé de manière déterminante son cours. Je crois sincèrement qu’elles m’ont aidé à retrouver mon chemin quand j’étais perdu et qu’elles m’ont donné la force de prendre les bonnes décisions au bon moment dans ma vie.

Merci Sénèque et j’arrête de vous embêter avec lui.

De toute façon, c’étaient les trois seules citations de lui dont je me rappelle…

À demain.




J26 19 Mai 2013 23H30 GMT
 
 
Vent:SE force 4-5  Cap: 250°  Vit.: 5-6 nds  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.
 
lalalililalalaliiii...
 
 

J24, 17 mai 2013, 19H30 GMT.



Vent: SE force 5-6 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 6,5 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

160 milles en 24 heures, je suis très satisfait! Et comme toujours quand je suis heureux, je n'ai pas grand-chose à dire.

Alors voilà une traduction approximative (de mémoire, n'ayant plus retrouvé l'original) d'une citation des lettres de Sénèque à son disciple Lucilius : 

"Entraîne-toi tous les jours à abandonner ce à quoi tellement de gens s'accrochent.
Regarde ces gens qui s'y agrippent comme à des rochers et des roseaux alors qu'ils sont emportés par le courant du fleuve; ces gens misérablement ballotés d'un côté à l'autre entre les tourments de la vie et leur peur de la mort.
N’osant pas vivre, ils ne savent pas mourir."

C’est la première fois que je suis tombé sur la notion de «
savoir mourir».
On parle toujours de «savoir vivre».

À demain.



jeudi 16 mai 2013

J22, 15 mai 2013, 19H30 GMT. Pour mes 39 ans.


Vent: SE force 5 ; Cap: 255° ;  Vit.: 6 nds ; Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

Hier, alors que je me laissais petit à petit tomber dans la déprime et l’exaspération de ce roulis, à me demander ce que je foutais là tout seul en plein milieu de l’océan…
J’entendis de ma couchette, comme des grincements, des couinements suivis comme par des claquements de langue….
Et là j’ai compris que c’était les dauphins qui étaient venu à ma rescousse!
Voilà plus de dix jours que je n’ai vu aucune forme de vie, à part quelques rares oiseaux dans le ciel et le poisson que je pêche…
Et là comme par miracle, je sors dans le cockpit et je vois une dizaine de dauphins nager de chaque bord de Yapa!
J’ai du mal à exprimer le bonheur que l’on ressent dans ces moments-là, à part vous dire que j’en ai eu les larmes aux yeux.
Ces dauphins étaient différents de tous ceux que j’ai pu voir jusqu’à aujourd’hui.
Beaucoup plus grands, noir et avec une tête arrondie, le plus petit devait faire au moins 2,5 mètres de longueur et le plus grand, plus de 4 mètres!
Ils m’ont accompagné pendant plus d’une demi-heure, nageant et jouant le long de la coque.
C’est dans ces moments-là qu’on se sent béni par les dieux. Merci !
Voilà qui m’a redonné de l'énergie!

Je suis redescendu et je me suis attelé à la tâche, il fallait que je répare ce four.
Ça ne m’a finalement demandé qu’une demi-heure de boulot!
Mes pains étaient déjà bien levés.
J’ai fait chauffer le four et je les ai mis à cuire.
Une heure après, tout le bateau embaumait l’odeur du pain chaud.
Je crois que je ne connais aucune odeur plus douce à mes narines.
Mes pains étaient parfaitement réussis, croustillants à l’extérieur et moelleux à l’intérieur…
 
Pendant la nuit, mon vœu a été exaucé et le vent est revenu.
Le régulateur d’allure ne fait plus que des écarts de + /-2°.
Depuis, le bateau est plus stable et avec un petit force 5 je navigue à plus de 6 nœuds.
Je suis heureux.

Aujourd’hui, pour mon 39ème anniversaire, je vais me faire un festin!
Au menu, des gésiers de canard confits avec des patates sautées, accompagné de mon bon pain et d’une bouteille de rouge, un Gevrey-Chambertin 1998, un cadeau du grand père de Clarisse, que je garde précieusement depuis plus d’un an dans mes fonds de cale.
C’est un drôle d’anniversaire, tout seul au milieu du Pacifique, loin de mes amis, loin de ma famille et pourtant je suis heureux.

Hier, Clarisse m’a fait part d’une des réflexions de Marwan qui est venue compléter mon bonheur: 
Mamie a planté des fleurs dans une jardinière la veille et Marwan a dit:
' Les fleurs de Mamie grandissent doucement comme petit bébé dans ventre'.

À demain!






 
J23 16 Mai 2013 20H30 GMT
 
Vent:SE force 5-6  Cap: 255°  Vit.: 6,5 nds  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

J'ai passé un très bonne anniversaire en compagnie de moi-même.

je dois dire que ce n'est pas tous les jours facile de me côtoyer comme ça sans cesse,

mais je commence à bien m'apprécier.

Il est vrai que j'ai un peu de mal à supporter ma grossièreté et mon tempérament de cochon parfois.

Mais bon, à part ça tout va bien Madame La Marquise.

Je n'ai pas vraiment le choix donc je suis bien obligé de me supporter.

Sinon, je suis quand même d'assez bonne compagnie,

on a des discussions passionnantes sur à peu près tous les sujets

et on aime bien se faire une partie d'échec de temps en temps,

mais c'est toujours moi qui gagne!

En tout cas, j'ai fêté mes 39 ans comme il se devait

et heureusement que j'étais là sinon je me serais senti un peu seul.

Eh puis moi et moi-même n'étions pas de trop pour finir cette bonne bouteille de rouge!

sinon, le vent s'est levé  et la mer a grossi depuis hier.

et ce matin, j'ai pêché un beau Mahi Mahi!




lundi 13 mai 2013

J19, 12 mai 2013, 16H30 GMT. Du vent!!!


Vent: SSE force 6 ;  Cap: 210° ;  Vit.: 7 nds!;  Allure: LARGUE GV 2 ris, Génois 1/3 enroulé.

Je suis heureux de voir mes vœux exaucés!

Premièrement, hier, j’ai pêché une jolie petite Dorade coryfène de seulement 1,5 kgs, ce qui me fait un peu plus de 500g.... De filet! La dorade Coryfène appelée aussi Mahi Mahi est selon moi, le plus succulent de tous les poissons.


Deuxièmement, eh bien, je voulais du vent, j’en ai du vent!

Hier, je me réveille en plein milieu de la nuit, j’entends l’eau bouillonner le long de la coque tribord et les vagues taper sur bâbord. J’entends le gréement trembler, la barre gémir, les poulies grincer et l’éolienne qui commence à s’affoler…

Yapa n’est pas bien…

Je regarde mes instruments, 8 nœuds au compteur et un cap un peu trop au sud, le vent est trop fort, Yapa lofe.

Anémomètre 21, 22, 23 nœuds de vent par l’arrière! Avec ma vitesse, au largue, on peut dire que c’est plus de 25 nœuds de vent bien établi.

Il est grand temps de réduire la voilure!

J’enroule le génois d’un tiers, je le borde bien afin d’aller au près. L’écoute de GV choquée, je prends mes ris. Toutes mes prises de ris sont encore en pied de mat…
La nuit est noire, des paquets d’eau arrosent le pont. Eh bien ! Je peux vous dire que ce n’est pas un truc de tafioles d’aller prendre 2 ris en pied de mat dans ces conditions!
Mais quelle belle poussée d’adrénaline! J’adore ça!

Yapa a retrouvé son aisance sur la mer.

Je reprends mon cap et je rentre bouquiner un peu, le temps nécessaire pour calmer mon rythme cardiaque.

Je suis serein, avec 2 ris dans la GV et le Génois enroulé au tiers, il ne peut plus rien arriver.

Et c’est ainsi que je m’endors d’un sommeil profond.

Et je rêve, ainsi, tout seul au milieu du Pacifique.

Je rêve de Clarisse et de Marwan, je rêve de douceur et de chaleur.
 
Un drôle d’équilibre !
 
Je rêve de ma petite femme et de mon petit bonhomme.

Un rêve doux et tendre, aux couleurs chaudes, à la lumière diffuse un peu comme sur une vieille photo.

Alors que je suis tout seul au milieu du Pacifique, je rêve de chaleur et de famille.

Ce qui me fait penser, qu’au contraire, quand je suis en famille, je fais très souvent des rêves d’aventures où je me retrouve dans la peau d’un homme entre James Bond et Indiana Jones. Seul, je cours contre la montre sur des chemins labyrinthiques, parfois sous-terrain, ou en pleine nature, des chemins semés d’embûches. Je fais souvent des rêves d’aventure à la poursuite d’un trésor. Je suis poursuivi, je me cache ou je suis à la recherche d’indices, constamment sur le qui-vive;
Bref, de l’adrénaline pure!

Je me réveille le matin, quittant ce personnage qui lui-même doit bien aller dormir après avoir vécu tant d’aventures,

Et je me demande, « à quoi cet homme doit-il bien rêver? »

Eh bien, il doit certainement rêver de la chaleur d’une famille, d’un sourire de la femme qu’il aime, de son enfant qui lui saute au cou dans un lieu loin de tous dangers, loin de tout tracas.

Un lieu où il est encore possible de vivre sa vie sans constamment être harcelés.

Peut-être sur une île à l’autre bout du monde? …

Peut-être rêve-t-il de moi?

Peut-être rêve-t-il de ma vie, avec Clarisse et Marwan, sur notre voilier, dans les îles?…

Ainsi la boucle est bouclée et Rêves et Réalité se rencontrent…

Mais alors…

« Qui est en train de rêver de qui, là, maintenant?…»

À demain!








J20 13 Mai 2013 18H30 GMT




Vent:SSE force 6  Cap: 250°  Vit.: 6,5 nds!  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul

Si le courage est d’oser faire ce dont on a envie,
bien que ça nous paraisse difficile,
Alors, oui, je suis courageux.
Mais comme dit si bien Sénèque:
"Ce n'est pas parce que les choses
sont difficiles que nous n'osons pas,
C’est parce que nous n'osons pas
qu'elles sont difficiles."





J21 14 Mai 2013 23H00 GMT



Vent:SE force 4  Cap: 240°  Vit.: 4,5 nds!  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul
Pendant toute la journée le vent est redescendu à force 3-4 et ma vitesse à 4-5 nds;
Puis le vent est revenu de plus belle!
et puis plus rien...
L'allure à laquelle je suis, grand largue, sur cette grande houle océanique est accompagnée d'un roulis incessant,
Et va y que je te fais -10°bâbord, +10° tribord, +10°bâbord, -10° tribord...
C’est extrêmement inconfortable,
Ça me fait presque regretter le près!
La seule manière de rendre cette allure plus stable est de prendre de la vitesse.
Donc c'est ce que je fais, naviguant sous génois seul, grand ouvert.
Hier, La mer était grosse et belle, 3,5 à 4 mètres d'amplitude
Et le vent bien établi entre 20 et 25 nds
C'était une navigation assez sportive avec de beaux surfs!
aujourd'hui, je me fais chier...
En prévision de mon anniversaire demain,
je me suis fait 3 pains
un aux herbes ails et parmesan,
un aux olives
et un aux tomates séchées.
Et bien sûr, c'est aujourd'hui que le cardan de mon four se casse!
Mais ce n’est pas grave...
Monsieur répare-tout c'est moi!
Bref, aujourd'hui, ce n’est pas la grande forme...