dimanche 5 mai 2013

J9, 2 mai 2013, 09h00 HL. Journée type du marin.


Vent: SSE force 5-6 ;  Cap: 230° ; Vit.: 5,5 nds ; Allure: près 2 ris.

Six jours de près jour et nuit, ça commence à bien faire! Plus que deux jours avant de retrouver les alizés!

Beaucoup de gens me demande à quoi je passe mes journées en mer. Les "non-initiés" ont souvent une idée très romantique de ce qu'est la navigation: "bikini au soleil, dauphins, pêche, coucher de soleil etc...", mais il ne voit pas que c'est aussi une vie de privations et d'un inconfort permanent! Particulièrement au près! 

Ce qu’il ne faut pas sous-estimer, c’est que chaque petit geste quotidien est rendu plus compliqué sur un bateau en mouvement, qui gîte, ou qui roule.

Pour vous donner un exemple, se faire un café:

Il faut tout d’abord s’imaginer être confiné dans un tout petit espace en mouvement, penché de 20°-25° sur le côté et bougeant frénétiquement de l’avant à l’arrière, un peu comme un cheval de rodéo. Vous vous imaginez être à l’intérieur de cette boite?

D’abord, il faut bien caler ses pieds et son corps afin de garder son équilibre. On remplit l’eau en essayant de ne pas en renverser à chaque secousse. Ensuite il faut attraper le café situé dans un placard. Il faut bien calculer son moment et ouvrir le placard quand il se trouve le plus horizontal possible, attraper le café et vite refermer avant que tout le contenu du placard ne se barre. Ensuite, il faut doser le café avec une cuillère en faisant attention de ne pas en renverser à chaque secousse. Il faut replacer le café dans le placard à nouveau en faisant attention que son contenu ne se déverse sur vous…

On pose la cafetière sur la gazinière fixée sur cardan afin qu’elle reste toujours horizontale quels que soient les mouvements du bateau. Généralement, ça suffit pour que la cafetière ne se casse pas la gueule, mais par mer plus forte, il existe des bras que l’on peut fixer autour de la cafetière afin de la maintenir en place.

Une fois le café prêt vient le moment délicat. Il ne faut pas oublier, qu’on est fixe, calé avec nos pieds, dans un bateau qui bouge et on veut verser un liquide brûlant dans une tasse tout en sachant que le liquide a sa propre dynamique et ne suit pas les mouvements du bateau…
Bonne chance!

Ah oui, j‘oubliais! Pour le sucre c’est encore la même histoire que pour le café dans le placard sauf que là il faut en plus pouvoir caler la tasse et être sûr qu’elle ne tombera pas pendant le temps qu’on cherche ou remet le sucre dans le placard!

Ce n’est pas fini! Maintenant, on a une tasse brûlante dans une main et avec l’autre on s’agrippe au bateau en s’efforçant de ne pas tomber tout en essayant de ne pas renverser le café brûlant! D’un pas hésitant, on trouve sa place et il n’y a plus qu’à s’assoir, bien se caler et déguster son café.

Bien sûr, avec l’expérience les gestes deviennent plus faciles, plus fluides, on apprend à fléchir des genoux, à suivre la danse de la mer, mais chaque petit geste du quotidien nécessite toujours une concentration absolu.

 Alors, maintenant que vous avez l'image de la petite boite penchée de 20° et faisant du rodéo, voilà une journée type: 

06H30 lever. Tour d’horizon pour voir s’il n’y a pas d’autres bateaux dans les parages. Café, j’aime bien boire mon café en regardant le soleil se lever. Et je lâche une ligne de pêche si j’ai envie de poisson.

07H00 petit déjeuner. 2 oranges pressées et soit cornflakes (avec du lait en poudre), soit barre céréales, soit porridge et les grands jours, œufs au bacon!

07H30 point sur ma position, cap, météo et stratégie à suivre pour la journée. Tour de contrôle du bateau afin de vérifier qu’il n’y ait pas de points d’usure et si les voiles sont bien réglées. Vérification des fonds de cale.

08H00 blog, mail, écriture.

10H30 préparation déjeuner: aujourd’hui: spaghetti au poulet, champignons et crème fraiche.

11H00 miam, miam

11H30 lecture

12H30 sieste

13H30 bricolage, il y a toujours un truc à réparer ou améliorer.

14H30 nettoyage soit du bateau, du linge soit de moi-même.

15H30 goûter. Généralement un café ou un jus avec barre de chocolat

16H00 je filète le poisson attrapé dans la journée ou alors je rêvasse

17H00 préparation dîner. Aujourd’hui wok de légumes avec poisson pané de la veille.

17H30 miam, miam

18H00 vaisselle de la journée

18H30 je regarde le coucher de soleil

19H00 je refais le point sur ma position, cap, météo et stratégie à suivre pour la nuit.

19H30 film ou lecture 

21H00 au plus tard, Dodo

Et là, je me réveille approximativement toutes les deux heures ou lorsque je perçois un changement de cap, de mer ou d’allure pour faire un petit tour d’horizon. Bien sûr le bateau est sur pilote automatique et continue sa route. J’ai bien des alarmes au cas où mon bateau détecte un autre navire dans le coin avec qui je serais en route de collision mais je ne l'ai jamais entendu jusqu'ici! Après tout je suis en plein milieu de l'océan; quelle sont les chances ne serait-ce que de rencontrer un autre bateau?

Généralement entre 3 et 4 heures je lis.

Bien sûr la journée est ponctuée de tour d’horizon, de petits réglages de voiles mais surtout de rêveries…

À demain


J8, 1 mai 2013, 16h00. Du paradis à l'enfer.


Vent: Sud force 6-7 ;  Cap: 265° ; Vit.: 5,5 nds ; Allure: près 2 riz

"Ca m'apprendra à crier mon bonheur sur les toits. Et pourtant combien de fois j'ai appris à mes dépens que quand on est heureux et que tout va bien, on se la ferme!"

Ce matin réveil à 7H00, je regarde le GPS, cap 240°, vitesse 6,5 nœuds, super! Je me fais mon petit café comme d'hab et je sors le boire dehors. Anémomètre 15-20 nœuds, la mer a grossi depuis hier. Elle commence même à moutonner...C'est con mais mon baromètre ne marche plus, donc je ne peux pas voir si la pression atmosphérique chute... Et puis la météo n'a rien annoncé d'inquiétant.

Je bois mon café et me dis que le bateau se comporte bien, il avance bien, ce n’est pas la peine de prendre un ris. Donc, je descends comme à mon habitude me préparer le petit déj, puis je m'assois dans le carré pour écrire. Dans le cockpit, on recevait quand même quelques embruns. Une heure plus tard, de l'intérieur, je remarque que Yapa force tout de même un peu sur son gréement, l’allure est de moins en moins confortable... Et puis, je vois à travers le hublot, de plus en plus de vagues déferler sur le pont. La mer a encore grossi en une heure, 3,5 mètres de houle et 25 nœuds de vent à l'anémomètre, donc en déduisant ma vitesse, 20 nœuds de vent réel à tout casser. Il faut dire que par vent arrière ça seraient des conditions idéales, mais contre le vent et les vagues, ça devient vite fatiguant!

Alors, je décide de prendre 1 ou 2 ris et d’enrouler au tiers le génois. Et voilà que l'enrouleur de génois se bloque! Ça m'était déjà arrivé 2 ou 3 fois depuis que je suis parti, je ne l'ai pas mentionné car à chaque fois j'ai pu régler le problème en quelques minutes. Donc, je vais à l'avant du bateau, armé de ma pince et d'un tournevis afin de débloquer le système. Rien à faire, avec la force du vent, et l'eau, les tours sont trop serrés et entremêlés. Bon, je sais que le vent ne va pas augmenter, le ciel est clair et dans cette région, à cette saison, les vents ne montent jamais à plus de 25 nœuds. Et ce n’est pas 25 nœuds qui vont faire peur à YAPA! Alors je décide de garder le cap et d'aller à l'avant pour défaire manuellement les 20 tours de l'enrouleur pour ensuite les refaire soigneusement...

Pendant une heure, je me suis reçu paquet sur paquet de vagues, me cramponnant comme je pouvais tout en défaisant et refaisant les 20 tours d'enrouleur! C'est vrai que j'aurais pu prendre une allure plus confortable pour faire ce boulot... Puis après avoir enroulé un tiers du génois et pris deux ris dans la grande voile, trempé de la tête aux pieds, exténué mais heureux du travail bien accompli, je me prélasse dans le cockpit, et savoure d'un plaisir masochiste le picotement de tous mes muscles endoloris!

Je décide de me récompenser avec des œufs au bacon, et en descendant qu’est-ce que je vois? Le bateau étant à la gite, je vois de l'eau huileuse sortir de mes fonds de cale! AHHHH!
À chaque fois, que je pousse mon bateau trop fort au près dans une grosse mer, en le faisant fortement tanguer, l'eau et l'huile qui étaient restées dans mes tuyaux d'évacuation de précédents pompage se déverse dans mes fonds de cale! J'ai bien voulu installer une valve de non-retour mais il est spécifié dans le manuel qu'avec ma pompe c'est fortement déconseillé! À chaque fois je me fais avoir! Ce n'est pas beaucoup d'eau, une dizaine de litres à tout cassé. Et me voilà à genoux pendant une heure à nettoyer tous mes fonds de cale, je précise, dans un bateau fortement à la gite...

Bref, je pensais que j'allais déprimer et puis non, je me surprends en train de sourire, heureux d'en baver....
Après tout, "le paradis ça se mérite!". Je dois vraiment être maso!
Mais je crois qu'il faut l'être un peu quand même pour prendre un petit bateau à voile et vouloir traverser les océans! En tout cas, il ne faut pas avoir peur d'en ch--r!

Je pensais être exténué après toutes ces émotions! Eh bien non! J’ai faim, une faim de loup! Alors je me prépare des pommes de terre sautées avec du chorizo!

Un Délice!