vendredi 10 mai 2013

J17, 10 mai 2013, 16H30 GMT.


Vent: SSE force 3 ;  Cap: 220° ;  Vit.: 5,5 nds ;  Allure: TRAVERS.

Je n'ai parcouru que 120 milles nautique depuis hier et les jours précédents aussi...

C’est pourquoi, je décide d'aller plus au sud afin de trouver des vents plus forts.


J16, 9 mai 2013, 16H30 GMT.


Vent: SSE force 3 ;  Cap: 230° ; Vit.: 5,5 nds ; Allure: TRAVERS.

Un curry de thon!

On ne met pas de viande rouge dans le curry!

On ne boit pas de vin rouge avec du poisson!

On ne mélange pas le Vert avec le Jaune!

Au diable tous les préjugés!

Les préjugés sont construits sur de mauvaises expériences et sont transmis de génération en génération. On leur attribue souvent le caractère d’une Vérité.

Il serait bien évidemment idiot d’essayer de convaincre un vieux que ses préjugés sont faux!
Je l’entends encore rétorquer:
« si on dit ça de tout temps, c’est qu’il doit bien y avoir une raison! »

Mais comme l’indique l’étymologie même de ce mot, c’est un jugement anarchique et sans preuves, qui ne laisse aucune chance à la présomption d’innocence! 
Nos préjugés sont, avant tout, CULTURELS! Ou ne dénotent ils pas avant tout notre manque de culture.

Allez dire à une Indienne vêtue de son sari que le Jaune ne va pas avec le Vert!

Allez dire au producteur de Pinot noir, en Bourgogne, que son vin ne va pas avec le poisson!

Alors, ne venez surtout pas me dire que le thon rouge ne va pas avec mon curry de légumes! 

Il me restait encore presque 1kg de thon en ne gardant que les meilleurs morceaux!
Et puis il y avait quelques légumes et fruits qu’il fallait absolument que je mange avant qu’ils ne soient plus bons.

Ingrédients: Oignons, ail, carottes, pommes de terre, poivrons verts et rouges, pommes, tomates, lait de coco.

Épices: sel, poivre, paprika, curry, gingembre, miel et beurre de cacahuète, sans oublier quelques piments Habaneros! 

Eh bien laissez-moi vous dire, c’est un délice! Heureusement, parce que j’en ai fait pour 6!

Au moins, je n’aurai pas à me casser la tête pour savoir ce que je vais manger pendant les prochains jours…

Même si les recettes varient, ça fera presque une semaine que je me nourris exclusivement de thon!

Alors,
« Pitié, Dieu, faites que le prochain poisson que je pêche soit petit et surtout, que ce ne soit pas un thon! »


J15, 8 mai 2013, 22H00 GMT. Hallucinations auditives.


Vent: SSE force 3 ;  Cap: 230° ;  Vit.: 5 nds ; Allure: TRAVERS.

Aujourd’hui, quand je me suis réveillé, le soleil était déjà haut, sous un ciel bleu et une mer calme. J’ai dû dormir presque 12 heures d’affilées! Je n’ai été réveillé qu’une fois en pleine nuit. Vers 4 heures du mat, c’est en sursaut que je me suis levé,entendant très distinctement quelqu’un m’appeler par mon nom.

« Hicham! Hicham! »

J’ai ouvert les yeux. Tout était calme, trop calme…

Le bateau était presque statique, pas de roulis, pas de secousses...

Il n’y avait presque pas de bruit, je n’entendais pas le cliquetis des poulies, ni le tremblement léger du gréement, ni même une drisse qui tape contre le mât, aucun claquement de voile, aucun écoulement d’eau le long de la coque…

Rien…

Je suis donc sorti dans le cockpit voir ce qui se passait. Et c’est là que je vois, le génois à contre, et la Grande Voile «lâchée».

Les drosses du Régulateur s’étaient désunies de la barre, et Yapa c’est tout simplement mit tout seul à la cape!

La cape est effectivement une allure extrêmement confortable, où on se laisse dériver.
On l’utilise généralement par très gros temps afin de pouvoir se reposer.

Yapa a du sentir que j’avais besoin de sommeil… 

Quand à mes hallucinations auditives, c’est normal, au bout de 3 semaines en mer tout seul, ça arrive tout le temps. Là on pourrait croire que c’est mon inconscient qui m’a réveillé, sentant que quelque chose dans l’allure avait changé; mais la plupart du temps, je ne sais pas pourquoi.

J’entends souvent mon nom crié comme si quelqu’un m’appelait, ou le son d’une corne de brume alors qu‘il n‘y a pas un bateau à l‘horizon, ou d’un oiseau qui piaille alors que je suis à des milliers de milles de la prochaine terre et qu‘il n‘y a pas d‘oiseau, parfois le son d’une guitare, ou celui d’une voix… 

Mais ma plus belle hallucination auditive, fut pendant ma traversée de l’Atlantique. 
Un matin, je me réveille au son d’un concert de musique classique. Je me lève machinalement pour éteindre la radio, mais elle est éteinte.

Je regarde la VHF en pensant tout de suite que quelqu’un s’amuse à passer de la musique classique sur un des canaux, La VHF n'est pas allumée.

Puis je comprends que cette musique ne pouvait venir que d’un bateau naviguant à côté du mien, alors que je suis en plein milieu de l’Atlantique!

Je sors en trombe dans le cockpit pour voir à quelle distance il est de moi.

Et là je me retrouve seul, scrutant l’horizon de toute part, cherchant désespérément ce foutu bateau!

Mais il n’y a rien, absolument rien, je suis tout seul au milieu de la mer, avec cette musique que j’entends toujours, une symphonie, composée d’une dizaine d’instruments que je distingue parfaitement!

« Je ne suis pas fou, me dis-je, j’entends bien de la musique! »

Alors je redescends et me mets à la recherche frénétique de sa provenance. Un ordinateur resté allumé? Une radio portative que j’aurais oublié quelque part? Rien!

Je débranche même les hauts parleurs pensant que le display de la radio était cassé. Je dois bien vite me rendre à l’évidence, cette musique vient de l’extérieur…
Alors, je ressors dans le cockpit et décide de me laisser absorber par la musique afin de détecter d’où elle vient.

Et c’est là que je compris.

La musique se décomposa devant moi en chaque instrument correspondant à un son bien spécifique qui venait du bateau. Le clapotis de l’eau, les vibrations du gréement, le tapotement d’une drisse, le vent dans les haubans, le cliquetis d’une poulie sur le pont, le léger claquement d’une voile etc…

Tous ces petits sons distincts les uns des autres et pourtant en parfaite harmonie se fondaient pour créer ce concerto d’une étonnante beauté! Après avoir compris, non seulement je suis arrivé à décomposer la musique, mais aussi à la recomposer à partir de chaque son.

Ç’a été un moment magique dans ma vie, alors que j’ai cru un instant que je devenais fou, j’ai réalisé que j’étais en face d’un phénomène semblable à ce que les astrophysiciens nomment:  « le chant des sphères célestes ».

L’harmonie parfaite du bateau, du vent, du ciel et de la mer, s’est exprimée à travers cette symphonie. Ce moment a été comme une illumination pour moi; avoir eu le privilège d’être témoin de cet instant d’harmonie absolue restera à jamais un des moments les plus beaux de ma vie.


J14, 7 mai 2013, 20H00 GMT.


Vent: SSE force 3-4 ;  Cap: 240° ;  Vit.: 4,5 nds ;  Allure: Largue.

BILAN DE LA DEUXIEME SEMAINE:

- Performance: je n'utilise aucun pilote électrique, uniquement mon régulateur d'allure, un Ariès qui a 35 ans! Et il fonctionne à merveille. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je m'extasie devant l'ingéniosité de cette machine! Même au grand largue, il ne fait que des écarts de route de +7, -7 degrés. 

Casse: c'est plus de l'usure, tout le vaigrage de la cabine arrière s'est décollé. Heureusement, en prévision de cet incident, j'avais acheté, à Panama une colle adéquate. Par contre, elle est hyper toxique; donc il va falloir que je m'en occupe avant l'arrivée de Clarisse et de Marwan. De plus, une poulie de renvoie du spi a cassé au larges des Galapagos. 

Bilan énergétique: toujours positif. Il m'arrive même de faire tourner le désalinisateur pendant des heures afin d'utiliser tout cet excès d'énergie. 

Eau: j'ai tellement d'eau qu'hier j'ai pris une douche uniquement à l'eau douce! J’ai utilisé presque dix litres d'eau! J’avoue avoir eu quand même un peu mauvaise conscience... 

- Nourriture: je ne vais pas crever de faim; ça s'est sûr! Si seulement les poissons que je pêche étaient plus petits! Il me reste encore 3,5 kg de thon! 

- Moral: le moral est bon malgré un coup de déprime il y a deux jours. Ce n'est plus l'euphorie des premiers jours; je tombe un peu dans la routine. Cependant, la nuit, le ciel étoilé est d'une beauté époustouflante.     
     
- Bilan toxicologique: bon. Alcool et clopes ne me manquent pas du tout! 

Plus qu'à 2600 milles nautiques (~4800 km) des Marquises!

 À Demain





J13, 6 mai 2013, 13h30 GMT.


Vent: SE force 4 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 5 nds ;  Allure: Grand Largue!

Finalement! Hier soir, le vent a commencé à tourner, travers toute la nuit et ce matin grand largue.

Le régulateur d'allure fait des S, ce qui ne rend pas non plus l'allure fort agréable, mais tout est mieux que le près!

Hier dans la nuit, j’ai passé l'Equateur! C’est la première fois de ma vie que je me trouve dans l'Hémisphère Sud!

J'ai toujours imaginé que ce serait un grand moment que je passerais, le regard fixé sur le GPS, un peu comme pour le nouvel an, regardant les dernières secondes de l'année défiler 5', 4', 3', 2', 1', 0°!!!!!!!!!!

En fait, je me suis réveillé la nuit pour faire mon tour d'horizon, par la même, j'ai vérifié cap, vitesse, allure et position et c'est là que j'ai réalisé que j'étais déjà passé de l'autre côté. Ça ne m'a pas fait plus d'effet que ça, alors je suis allé me coucher.

Alors qu'en Atlantique, je ramassais tous les matins des petits poissons volants échoués sur le pont pendant la nuit, dans le Pacifique ce sont des petits calamars que je récolte chaque matin. Aujourd'hui, pour mon 13ème jour de mer, 13 petits calamars!

Aujourd'hui le moral est meilleur, mais j'avoue qu'hier, pour la première fois, j'ai eu peur devant la perspective de passer encore 3 semaines tout seul en mer.

Il faut dire, que la première semaine en mer est toujours facile. Comme tout départ en voyage, l'excitation l'emporte sur les désagréments du quotidien. 

En tout cas, quelle chance que Clarisse et Marwan ne soient pas venu pour la traversée.

Il faut dire que la galère est bien plus supportable tout seul que quand on la fait subir à quelqu'un d'autre! 

A partir d'aujourd'hui, je passe en heure GMT ou UTC pour le journal de bord, étant donné que pendant ma traversée, je vais changer 4 fois de fuseau horaire, et que mon rythme de sommeil ne correspond plus vraiment au jour et à la nuit.

Aujourd’hui, honneur au thon, Sashimi et tartare poilé aller-retour! Il me reste des câpres et du gingembre; ça va être un délice!

 À demain!



J12, 5 mai 2013, 12H00 HL. Il y en a marre ....


Vent: SUD force 5 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 6,5-7 nds ; Allure: près.

Depuis hier soir, encore du près, toujours du près!!!! Vous vous rappelez, cette boite penchée de 20° qui fait du rodéo?

Autant hier, j'étais d'humeur rigolarde, aujourd'hui je stagne. Je commence à en avoir ras le bol de cette allure. Voilà 12 jours que je suis parti et à part les deux premiers jours, j'ai l'impression de ne faire que ça!

J’en ai marre de me recevoir des paquets d'eau froide dans la gueule!

C’est quoi ce vent de SUD alors qu'il devrait être de SE!

Fait chier!

Faire la vaisselle, faire la bouffe, fileter le poisson etc... Chaque geste me demande tellement d'effort!

Heureusement pour me remonter le moral, j'ai pêché un beau petit thon rouge de 8 kg. Bon , ensuite il a fallu le fileter....




J11, 4 mai 2013, 13H00 HL. Les Galapagos.


Vent ?; Force 0 ; Cap : 250° ; Vit. : 5 Nds ; Allure : MOTEUR.

Je sais que beaucoup d'entre vous pensent: " Sacrilège! Passer à côté des Galapagos et ne pas s'arrêter!". Ce que vous ne savez pas, c'est qu'entre temps, c'est devenu un pôle d'attractions touristiques. Tout est réglementé, et tout coûte excessivement cher. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que les Galapagos, bien que faisant partie de l'Equateur, ont choisi le Dollar américain pour devise! Six cents dollars pour pouvoir rester 2 semaines, avec l'interdiction de naviguer avec son propre bateau dans les îles. On ne peut pas mouiller où l'on veut. On doit laisser le bateau à l'ancre et prendre une 'panga' pour aller d'île en île. On ne peut même plus utiliser sa propre annexe pour aller à terre. Il faut prendre un 'taxi-boat' qui vient nous chercher sur notre bateau. Toute excursion coûte 100$, 500$ si on veut faire de la plongée. Il y en a bien qui ont tenté de simuler une panne afin de profiter des 72 heures d'hospitalité obligatoire pour tout navire en difficulté, ou ayant une avarie, afin de pouvoir faire les réparations nécessaires. Cependant, ces 10 dernières années, face à une croissance exponentielle d'avaries en tout genre sur les voiliers, les autorités ne se font plus avoir. Notamment, pour des raisons mystérieuses, tous les moteurs semblaient tomber en panne entre le Panama et les Galapagos. 

Aujourd’hui, les autorités maritimes envoient systématiquement les militaires à bord pour vérification. Si il s’avère que l’on a menti, une amende salée nous attend, puis nous sommes « gentiment » éconduits par les forces armées équatoriennes…


Fini le bon vieux temps où les Galapagos était une halte culinaire obligatoire pour tous les marins, où on pouvait déguster de la tortue, manger un ragoût d’iguane, une soupe d’ailerons de requins, ou tout simplement, une omelette d’œufs de pingouin… 

Attention, le programme qui suit est Interdit aux moins de 16 ans!

Comment entrer aux Galapagos, sans payer? Alors, il m’est venu une idée…

Puisque les Galapagos sont un sanctuaire pour les animaux en voie de disparition, pour toutes les excentricités génétiques de ce monde… Je décidai de m’inventer une nouvelle identité…

Tout d’abord, je me confectionnai un nouveau drapeau aux couleurs rasta vert, jaune, rouge, avec au centre deux os en forme de croix, un peu comme sur le drapeau pirate mais sans la tête.

Ensuite, je commençai tout d’abord à me peindre le visage, me dessinant un immense sourire effrayant autour de la bouche un peu à la façon des masques de théâtre japonais. Je trempai mes mains dans de l’encre et me fis des empreintes un peu partout sur tout le corps, notamment, de manière aussi symétrique que possible, une sur chaque fesse.
Puis je coupai un gros morceau de bambou de 70 centimètres de long approximativement, et me l’empalai sur le pénis avec une cordelette fixée au bout, et passée autour du cou, afin de le maintenir bien en érection.
Puis je me confectionnai un collier de peau de banane et un chapeau avec une queue d’ananas qui me restait et je m’inventai naturellement aussi un langage propre, principalement constitué d’onomatopées.

Et c’est ainsi que j’arrivai aux Galapagos, fier comme un paon, derrière ma barre à roue. Je jetai l’ancre dans une petite baie face au village d’Isla Isabella et toisai l’horizon à la recherche d’indigènes. Mais c’est sans tarder, que me vint par tribord, une navette militaire. Cinq hommes armés jusqu’aux dents et c’est là que je vis le capitaine habillé tout de blanc avec ses petites épaulettes dorées. Alors je lui fis grands signes des bras et des mains afin de l’inviter à bord et d’un  déhanchement évocateur, mon bambou dans la main, je l’invitai à goûter aux plaisirs des traditions de bienvenue de mon pays. Force est de constater que malgré mes efforts pour l’inviter à bord, il parut hésiter un moment. Mais devant la clameur des rires de ses soldats, il se rétracta. Quelle ne fut ma déception! Ils tournèrent un moment autour de mon bateau. Je me sentis pendant un instant comme une Star Illuminée par les flashs d’appareils photos, et je leur fis ma pose, tenant d’une main mon dard! C’est ainsi qu’ils revinrent vers moi et j’entendis le capitaine me dire «Dos dias y nada màs!». Alors, en signe de reconnaissance, je montai sur le pont et de bonheur, je leur fis ma danse.

C’est ainsi que je restai 2 mois. La population locale, d’un naturel étonnamment joyeux à mon contact toujours se fendant la poire m’accueillirent en grande pompe parmi eux. Certes je remarquai un léger recul chaque fois que je m’approchais de la gente féminine…
Mais à part ça, ils étaient gentils. Ils me laissèrent même arpenter la brousse armé de mon arc à flèche et de ma lance. Et bien des fois je leur rapportai le produit de ma chasse. Cependant,  il semble que la population locale préfère se nourrir de boites de métal…
Alors, force d’admettre que nos différences culturelles ne nous permettaient pas vraiment d’échanges réels. Je décidai de partir, fier comme un lion, à la conquête de nouveaux horizons.
 
Ce poème est dédicacé à Jérémy, mon beau-frère que j’aime tant.