mardi 21 mai 2013

J28, 21 mai 2013, 18H00 GMT. Bilan de la quatrième semaine.



Vent : SE force 4-5 ;  Cap: 250° ;  Vit.: 5-6 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

BILAN DE LA QUATRIEME SEMAINE:

- Performance: Depuis une semaine, je note un léger ralentissement, jour après jour. Au bout d'une semaine, j'ai perdu 1 nœud de vitesse! En me penchant, j'ai pu distinguer des anatifes. Il s'agit de crustacés montés sur un pédoncule assez long pour maintenir leurs  branchies en dehors de la zone empoisonnée par les meilleures peintures sous-marines... je n’ai pas envie de me mettre à l'eau, donc ils feront le voyage avec nous jusqu'aux Marquises. 

Casse: ça date de la troisième semaine. Par dépit, je n'avais pas fait de bilan. Je n'étais pas dans mon assiette et par manque d'attention, je me suis laissé déséquilibrer par une vague et j'ai fait tomber l'iridium! Quel n'a été mon désarroi en voyant l'écran cassé.  C’est tout mon monde qui s'écroulait. L’idée de ne plus pouvoir recevoir de nouvelles ou d'en donner m'a anéanti. Je m'étais habitué à recevoir tous les jours un message de Clarisse, parfois d'amis et d'écrire pour le blog, de rassurer ma famille. Clarisse aurait été morte d’inquiétude et je n’ai aucun autre moyen de la contacter! Déjà que ce n'était pas la grande forme, j'en ai pleuré de dépit. Mais bon, comme vous avez pu le constater le téléphone marche toujours, c'est juste l'écran...

Bilan énergétique: toujours positif.  Je ne jure plus que par le Régulateur d'allure! Dire que j'ai dépensé une fortune en pilotes automatiques!

Eau: les réservoirs sont toujours pleins! Ce désalinisateur est une bénédiction!

- Nourriture: j'ai fait mon dernier jus d'orange pressé hier. Vingt kilos d'oranges m'auront duré 5 semaines quand même! (Je les avais achetées 1 semaine  avant de partir). Plus de patates! Je n'en avais pris que 10 kilos, la prochaine fois j'en prendrais le double pour 1 mois. C'est bon les patates et puis on peut les décliner de tellement différentes manières.  Je n’ai plus de légumes frais depuis une semaine...mais il me reste des tas d'oignons, ail, tomates en boite, crème fraiche (enfin, un équivalent très approximatif mais qui fait l'affaire...) de quoi agrémenter les plats quotidiens. Ça c'est sans compter les pâtes, riz, lentilles et mes réserves de boites de conserves en tout genre. Bref, je pourrai encore tenir facilement 3 mois!

- Moral: après être passé par une phase d'euphorie, de fatigue, de déprime, d'acceptation, je me sens bien, tranquille, serein. Depuis une semaine,  j'ai remplacé le café par un bon chocolat au lait chaud.  La transition au réveil se fait avec plus de douceur et je fais du yoga tous les matins et soirs. Ça m'aide beaucoup pour rester "zen" dans cette petite boite constamment secouée dans tous les sens.
          
- Bilan toxicologique: aucun besoin de clopes ni d'alcool dans cet environnement. Je suis tellement conscient de mon corps que l'idée de lui faire du mal me révolte. Enfin, je dis ça maintenant, mais à peine le pied posé à terre, j'aurai certainement envie d'une bonne chope de bière et d'une clope...ou peut-être pas...

Plus qu'à 780 milles nautiques  des Marquises, c'est à dire moins d'une semaine!

A demain.



J27, 20 mai 2013, 20H30 GMT. J'attaque ma cinquième semaine en mer.



Vent: SE force 4-5 ; Cap: 250° ;  Vit.: 5-6 nds ;  Allure: GRAND LARGUE sous génois seul.

C’est étrange, depuis quelques jours, ma vitesse baisse sensiblement alors que le vent et la mer n’ont pas changé. Il n’y a pas de courant contraire dans cette région et pourtant j’ai perdu presque 1 nœud par heure, ce qui est énorme!

C’est donc que la carène doit être sale ; pourtant je l’ai parfaitement nettoyé avant le départ…

Le problème, c’est qu’il y a tellement de houle qu’il serait dangereux d’aller voir sous l’eau ce qui se passe. Et puis, je dois avouer que l’idée de me mettre à l’eau tout en sachant que le fond se trouve à 5000 mètres (5 kilomètres!!!) de profondeur me donne la frousse. Je sens bien que je ne suis pas du tout dans mon élément!
Tout bien réfléchi, je vais rester sur Yapa; on garde notre cap et tant pis si on met 2 jours de plus. Après tout, on est plus à ça près!

Ici la vie se passe bien; on peut dire que je suis maintenant complètement amariné. Ça m’en aura pris du temps!

En tout cas, il est intéressant d’observer les différentes étapes psychologiques pendant ce voyage et de noter à quel point elles sont semblables aux différentes phases que j’ai traversées lorsque j’ai effectué le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle il y a de ça une dizaine d’années (déjà!!!).

La première phase est euphorique, elle dure à peu près une semaine; l’excitation du départ, l’aventure, les retrouvailles avec la mer, les nuits étoilées, avec Yapa, seul à seul, dans cet espace infini entre ciel et mer…
Tout ça aide à oublier ou occulter l’inconfort et la dureté de la vie quotidienne à bord pendant les premiers jours.
Tout est nouveau, on prend ses marques, on est en alerte constante, et on ne dort pas beaucoup.

La deuxième semaine, c’est le coup de barre. Toute la fatigue accumulée la première semaine nous tombe dessus d’un coup.
Ce n’est plus l’euphorie des premiers jours où la galère nous fait sourire. C’est une prise de conscience; on réalise à quel point le chemin sera long et dur.
Mais on se dit courage, on est qu’au début, on n’a pas le droit de flancher maintenant!

La troisième semaine c’est le coup de blues accompagné d‘énervement et parfois d‘exaspération.
On se demande ce qu’on fout là!
L’inconfort, la dureté de la vie à bord, le roulis, toutes ces galères quotidiennes ne nous font plus du tout rigoler!
On est à peine à mi-chemin et le bout du tunnel semble loin, très loin…

La quatrième semaine, quelque chose de bizarre se passe, on arrête de se battre.
On ne s’énerve plus, on commence à adopter les mouvements de la mer de manière naturelle; on se plie à son rythme et on bouge avec elle.
On a trouvé un rythme de sommeil et pourtant, on est toujours un peu fatigué.
Je ne pourrais pas dire que je suis heureux, je ne pourrais pas dire que je suis malheureux non plus.
Je suis tranquille.
Je crois qu’on peut appeler cette étape, la phase d’acceptation ou de soumission. 

Demain, je commence ma cinquième semaine en mer;

Voyons voir ce qu’il adviendra…

À demain.